Les violences gynécologiques et obstétricales (VGO) sont une forme de violence restée longtemps cachée. Souvent, elles sont intériorisées par les femmes qui les ont subies car on leur fait comprendre que ces violences font partie d’un accouchement, ou bien on leur demande d’accepter la douleur et d’arrêter de se plaindre. Or, les VGO ne sont pas une fatalité. Il s’agit de maltraitances qui reflètent le mépris envers les femmes et font entretenir une culture patriarcale, notamment dans le domaine de la médecine obstétricale. Nous devons tenter de briser ce tabou et commençons à en parler !
De quoi s’agit-il au juste si on parle de VGO ?
Dans l’intimité d’une consultation médicale ou d’un accouchement, des femmes sont victimes de pratiques violentes, ou bien des actes et paroles sexistes non appropriés. Pour être plus précise, on va faire la distinction entre :
- Les violences gynécologiques, dont peuvent être victimes les femmes lors de consultations gynécologiques. En se retrouvant dans une position vulnérable, elles peuvent être atteintes des agressions physiques/verbales, des jugements et commentaires personnels, des humiliations graves ou bien des violations flagrantes de l’intimité lors des examens.
- Les violences obstétricales, dont peuvent être victimes les femmes lors de leur accouchement, comme par exemple : la révision utérine (réalisée sans anesthésie), l’épisiotomie (pratiquée systématiquement), le toucher vaginal, (pratiqué sans consentement ou sur une patiente) ou bien le « point du mari ».
En fonction de la situation, il est parfois utile d’avoir recours à de opérations/manipulations invasives, sans demander le consentement de la patiente, notamment lorsque des césariennes d’urgence doivent être pratiquées en cas de risque pour la mère ou l’enfant. Mais dans certaines cliniques, le nombre de césariennes effectuées est supérieur au nombre qui serait nécessaire du point de vue médical (entre 10 et 15%), ce qui amène à se demander si certains actes seraient imposées ou si les femmes les demandent.
Cadre légal
Au niveau global
Longtemps tabouisé, il y a eu une absence de débats publiques et politiques face aux VGO. En 2010, les premières prises de position deviennent officielles à l’échelle internationale.
Exemple important : Le Venezuela incorpore une définition sur la violence obstétricale dans la loi sur les droits des femmes : « l’appropriation du corps et du processus de reproduction des femmes par le personnel de santé, […] entraînant une perte d’autonomie et la capacité de décider librement de leurs corps et de leur sexualité, ayant un impact négatif sur la qualité de vie des femmes ».
En 2012, il y a eu l’entrée en vigueur de la charte « Le respect dans les soins de maternité ». Celle-ci a pour objectif de s’attaquer à l’absence de respect et des mauvais traitements envers les femmes ayant besoin de soins de maternité.
Dans une déclaration, publiée en 2014, l’OMS a dénoncé les traitements non-respectueux et abusifs dont peuvent être victimes les femmes lors de leur accouchement dans des hôpitaux (soutenue par 90 organisations).
Quatre ans plus tard (en 2018), l’OMS a publié des recommandations sur les soins intrapartum pour une expérience positive de l’accouchement. Selon ces recommandations, toutes les femmes ont droit à une expérience positive de l’accouchement.
Au niveau européen
La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite la Convention d’Istanbul, a été ouverte à la signature le 11 mai 2011. Elle reconnaît la violence à l’égard des femmes comme une violation des droits de la personne et une forme de discrimination. A noter qu’elle condamne spécifiquement les stérilisations forcées, dans son article 39, mais elle ne traite pas de manière générale des violences gynécologiques et obstétricales.
En 2019, le Conseil de l’Europe adopte une résolution pour lutter contre les violences obstétricales. Cette résolution invite notamment les états membres à assurer une prise en charge respectueuse lors de consultations médicales, de soins et de l’accouchement. Voici quelques extraits de cette dernière :
- diffuser les bonnes pratiques promues par l’OMS (2018) ;
- assurer une formation spécifique des gynécologues/obstétriciens et mener des actions de sensibilisation sur les VGGO dans le cadre de cette formation;
- prévoir un mécanisme de signalement et d’examen des plaintes pour VGO et prévoir des sanctions à l’égard des professionnels de santé;
- proposer un service d’assistance aux victimes de violences gynécologiques et obstétricales et assurer la prise en charge des soins.
Au niveau luxembourgeois
Toute les décisions prises au niveau international et européen, sont aussi valables pour le Luxembourg. A noter, que le Grand-Duché a ratifié la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique en 2015.
Sous la direction du Conseil Scientifique du Domaine de la Santé œuvre le groupe de travail « Santé de la Femme ». Il s’agit d’un organisme indépendant qui est composé des professionnels du secteur de la médecine. Basé sur les recommandations publiées par l’OMS (2018), le GT a récemment publié une liste avec des recommandations rappelant les bonnes pratiques à respecter en obstétrique.
A l’heure actuelle, il n’y a pas d’enregistrement spécifique des VGO en tant que telles. Le seul indicateur de violence obstétricale quantifiable est le taux d’épisiotomies réalisées hors indication médicale dans le registre PERINAT. On recense un taux d’épisiotomie de 26% en 2014 et 22,5% en 2016.
Pour en conclure sur le cadre légal, les violences obstétricales sont actuellement sanctionnées par la loi en Argentine et au Venezuela, mais restent peu reconnues en dehors de l’Amérique du Sud. Ici, des normes sanctionnant les VGO ne sont pas encore établies d’une manière générale. C’est pourquoi, il faudrait faire un appel aux ordres politiques de mettre en place des mécanismes de sanction pour les professionnels n’ayant pas une attitude respectueuse de leurs patientes. De même, les propos et attitudes sexistes du corps soignant devraient être clairement interdites et sanctionnées, comme cela devrait être le cas pour tous les métiers.
Un peu d’histoire et depuis quand en parle-t-on ?
Le caractère institutionnel des VGO
Durant plusieurs centaines d’années, les accouchements étaient exercés par les sages-femmes, en écartant les hommes du domaine obstétrical. La science du Moyen-Âge accordait donc aux femmes un certain contrôle sur leur corps et leur reproduction.
A partir du 16e siècle, la réputation de ces dernières était remise en question par l’Église et l’État. Ils les accusaient de pratiquer la sorcellerie en recourant à des techniques d’avortement et de contraception.
Au fil du 19e siècle, les docteurs masculins ont commencé à s’intéresser à la gynécologie et l’obstétrique et font leur entrée dans ces services. Progressivement, ils ont pris la place des sages-femmes, et elles sont alors mises au second plan. Cette monopolisation des salles d’accouchement par les hommes s’est accentuée par la généralisation de l’usage d’instruments obstétricaux (forceps). L’accouchement et le corps des femmes est devenu un sujet d’étude scientifique, et donc traiter comme des objets.
Depuis les années 70, les exigences d’efficacité et de rentabilité prennent le dessus dans les hôpitaux, aussi dans les maternités. Les restrictions budgétaires, le manque de temps et de personnel ainsi que la surcharge de travail peuvent empêcher les professionnels de la santé d’assurer un accueil et encadrement bienveillant, ce qui constitue à son tour une forme de violence institutionnelle.
Les maltraitances à l’égard des femmes existent de longue date, mais presque personne en a parlé. On peut estimer qu’un consensus social s’est mis en place. La société s’est ralliée au point de vue des médecins et de l’institution médicale. Donc les VGO étaient considérée comme quelque chose de « normales » et non discutables.
L’évolution des luttes féministes dans le champ de l’obstétrique
Depuis le 20e siècle, les féministes se sont intéressées aux violences produites envers les femmes dans le domaine obstétrical et gynécologique. Par contre, leurs combats se sont principalement focalisés sur le droit à l’avortement, la contraception et la liberté sexuelle, avant de s’attaquer à la lutte envers les maltraitances obstétricales.
Néanmoins, les féministes militent pour une amélioration de la santé des « femmes mères » càd leur donner la possibilité d’accoucher en maternité, de nourrir leurs bébés au biberon ainsi que de se reposer après l’accouchement. Elles combattent également pour qu’on leur accorde une prise en compte de leur douleur lors de l’accouchement. Par contre, elles s’arrêtent à ces revendications.
Pourquoi cette absence d’intérêt des violences occasionnées dans le milieu obstétrical ? Voici deux hypothèses :
- Les mouvements féministes ont hésité à dénoncer les pratiques des gynécologues-obstétriciens, car ils étaient longtemps leurs alliés dans leurs luttes pour la liberté de contraception et d’avortement.
- Au début, peu de femmes exerçaient le métier du gynécologue ou obstétricienne, donc les femmes médecins n’avaient pas encore conscience du problème. La forte féminisation de la profession ne s’était mise en place qu’à la fin du 20e siècle. Pourtant, les médecins féministes se sont d’abord focalisés sur la lutte davantage de l’accès aux soins et aux remboursements, plutôt que sur la critique des actes médicaux en eux-mêmes.
Début des années 2000 : Une libération de la parole s’annonce progressivement
Le combat contre les violences obstétricales est mené en Belgique depuis 2013 par Marie-Hélène LAHAYE, juriste et auteure du blog « marieaccouchela ». Elle est devenue figure de proue en la matière.
Début 2015, un internaute a révélé que l’enseignement du toucher vaginal était réalisé sur des patientes anesthésiées dans certains blocs opératoires. La BBC a sortie un documentaire sur cette affaire.
En France, il y a eu une libération de la parole ces dernières années via twitter et Instagram sous les hashtags #PayeTonUtérus et #balancetonuterus. Ici, les femmes victimes de VGO étaient invitées à partager leur expérience publiquement. A la suite de ces témoignages, Marlène Schiappa a demandé au Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes de préparer une étude sur cette thématique. Les résultats étaient choquants, car ils ont dévoilé un taux d’épisiotomie en France de 75 %, contre une recommandation OMS de l’ordre de 20 à 25 %. Par la suite, le sujet était médiatisé et on a appelé les autorités à réagir.
Il y aussi eu une libération de la parole en Croatie, où la campagne #prekinimošutnju («#brisonslesilence»), lancée par l’ONG Roda, a encouragé de nombreuses femmes à partager leur histoire.
En Italie, le mouvement #bastatacere (Arrêtons de nous taire) sur twitter a aussi donné aux femmes victimes de VGO une plateforme pour déposer leur témoignage. En plus, une étude mentionnée dans le documentaire « Tu enfanteras dans la douleur », 21% des mères italiennes auraient déjà subi des violences obstétricales et 64% des épisiotomies auraient été réalisées sans consentement.
Cette année, la journée d’action Roses Revolution a lieu pour la 9e fois au niveau international et pour la 5e fois au Luxembourg. Le 25 novembre, toutes les personnes concernées (mères, pères, parents, sages-femmes et personnel soignant) sont appelées à manifester en faveur d’une obstétrique libre de toute violence, en déposant symboliquement une rose devant les cliniques dans lesquelles ils ont vécu un manque de respect ou une agression.
Conclusion :
Comme nous pouvons constater, des campagnes de sensibilisation ont été lancées sur les réseaux sociaux et de nombreux témoignages ont été recueillis ces dernières années. Cette libération de la parole et ce partage d’expériences a permis aux femmes victimes de VGO à réaliser qu’il ne s’agit pas des cas isolés.
Sur le plan politique, la prévention et la lutte contre les VGO ne sont pas encore considérées comme des priorités mais des pratiques bienveillantes sont promues afin d’assurer aux patientes un accompagnement humain et respectueux. Pourtant, ceci n’est qu’un début car ils restent encore beaucoup à faire !